Airbus A380, l’exemple d’une réussite technologique, d’un désastre économique
L’Airbus A380 a officiellement fêté ses 10 ans au mois d’octobre, l’avion géant du constructeur Européen est entré en service le 25 Octobre 2007 avec Singapore Airlines. Depuis l’époque de son entrée en service, l’A380 a laissé derrière lui une image marquante, comme merveille technologique mais aussi comme un désastre économique.
Ceci est la première partie d’une analyse en 2 temps de l’A380, dans un premier temps nous étudierons les raisons qui ont mené l’avion à son échec commercial.
Dans une seconde partie nous nous intéressons aux opérateurs actuels de l’avion et quelles sont les compagnies qui pourraient être intéressées (ou pas) par l’avion.
Première partie : Les raisons de l’échec
« La raison d’être » de l’A380, une raison qui était condamnée dès le départ
Au début des années 2000, Airbus s’est appuyé sur le modèle économique de vol long-courrier qui peut être aussi appelé « hub to hub-flight » comme argument commercial pour vendre son avion. Un hub est un aéroport central qui centralise tous les vols d’une compagnie.
La théorie du « hub to hub flight » est la suivante : un vol long-courrier à forte densité de passagers entre deux gros aéroports (gros hubs), cette théorie voudrait que ces vols soit opérés principalement par les avions très gros porteurs pour répondre à la forte demande de passagers avec des avions tels que l’A380, tandis que les vols moyens et court courriers seront opérés par des avions utilisés aujourd’hui pour le long courrier comme les Boeing 777 ou Airbus A330, avions qui sont plus petits.
Cette théorie n’était pas totalement condamnée, en effet, fin des années 90 l’avion phare était le Boeing 747, le succès était là, toutes les grandes compagnies à travers le monde faisaient voler cet avion sur le modèle économique « hub to hub », à l’époque les avions biréacteur à forte capacité avec une autonomie assez large pour faire du long courrier n’existaient pas encore. NB à l’époque les seuls avions capables de couvrir de longue distance était des quadriréacteurs). Le fait de proposer un avion offrant plus de capacité avec de meilleurs performance semblait parfaite pour l’avionneur Européen.
Premier problème pour Airbus, cette théorie n’était valable qu’à l’époque que pour une vingtaine de hub comme par exemple London-Heathrow, Paris-Charles De Gaulle, Frankfurt, Amsterdam, Tokyo-Narita, Taipei, Hong Kong, Singapore, Sydney, Los Angeles, Chicago, San Francisco, New York-JFK, Seoul, Kuala Lumpur ou Bangkok. Mais les prévisions de croissances étaient tels que Airbus voyait l’A380 comme une solution évidente à la congestion future des aéroports. Il faut aussi savoir que l’IATA (association international du transport aérien) prévoit un doublement du trafic mondial tous les 15 ans.
Airbus avait plus ou moins exactement faux
Airbus n’avait pas vraiment anticipé le degré de chaque condition.
Plutôt que de rester tel quel, comme il l’a fait pendant 2 décennies (Années 70-90), le modèle économique des compagnies aériennes « hub to hub » a été complétement balayé par le nouveau modèle économique du « point to point » (Nous y reviendront plus tard). Mais aussi de la croissance des compagnies du Moyen-Orient (Emirates, Qatar Airways et Etihad)
Même si ces 3 dernières compagnies sont clientes de l’A380, elles sont les preuves vivantes de l’extrême volatilité du marché de l’aérien ces dernières années. Chaque aéroport où ces compagnies opèrent affiche des croissances du flux de passagers aux alentours des 500% (Doha et Abu Dhabi sont à plus de 600% de croissance sur la même période)
Avec l’augmentation des accords aériens entre les pays à travers le monde (dé-régularisation), le pouvoir des gros hubs a tendance à diminuer, les compagnies préférant atterrir à des aéroports plus petits mais moins chères à exploiter(taxes d’aéroports 20% moins chères). On peut citer par exemple Stansted, Luton et Gatwick, qui font concurrence au hub de Londres Heatrow, Pekin est concurrence par Shangai et Guangzhou etc.
Le monde de l’aviation est aujourd’hui le monde des avions plus petit tels que le 787 ou l’Airbus A350, des avions plus petits que l’A380 et économiquement rentable sur des routes longues sans passer par des hubs (Exemple : Lyon-Montréal en direct plutôt qu’un Lyon-Paris-Montréal) Sur ce point l’Américain Boeing avec son 787 avait raison il voyait le futur de l’aviation sur le modèle économique du « Point-to-Point ».
L’autre problème de l’A380 ? son coût d’exploitation qui est TROP bon
Derrière les théories d’économies d’échelles, l’A380 est confronté aux problèmes spécifiques du coût d’exploitation sur le modèle économique du « point to point ».
Au mieux sur ce modèle économique il est possible de remplir un A380 l’Été sur une route touristique mais cela relève de l’impossible quand vient la saison de l’hiver.
NB : Un A380 peut accueillir jusqu’à 800 passagers en 1 classe, et 550 en 3 classes.
Le business de l’aérien n’est jamais régulier, il est saisonnier et cela correspond souvent avec les vacances scolaires. Généralement l’été dans les régions de l’hémisphère Nord, cela représente pour plus de 90% des compagnies aériennes, un pic de fréquentation, le 10% restant correspond aux compagnies de l’hémisphère Sud comme Qantas(Australie) ou Avianca (Colombie).
Pendant cette période il apparait de nombreuses routes économiquement rentables pour exploiter un A380 comme par exemple un Londres-Los Angeles, Bangkok-Rome ou bien un Munich-New York. Seul un petit nombre de compagnies ont un hub assez important pour remplir 10 ou 15 avions, seul la compagnie Emirates à un volume suffisant sur son hub de Dubaï pour remplir à l’année ses avions.
Hub de Dubai, base de la compagnie Emirates, plus grosse cliente de l’A380 Source : Airliners.net
Revenons donc au titre de cette partie, l’A380 à un excellent coût d’exploitation par siège quand il est rempli de passagers. En effet, ces coûts unitaires sont les meilleurs de l’histoire de l’industrie aéronautique pour un avion aussi gros avec une aussi grosse autonomie, mais ces coûts unitaires ne servent à rien si vous n’arrivez pas remplir l’avion ; et en conséquence devoir payer des charges d’exploitation énormes pour moins de revenus. En effet l’avion coûte énormément à exploiter, il faut un grand nombre de personnel de bord étant donné les 2 ponts, un personnel au sol énorme et des taxes d’aéroports ahurissantes. Le seul moyen de le rentabiliser ? Le remplir complètement.
Il est important de noter qu’il est aussi difficile de rentabiliser cet avion s’il n’est pas rempli, le coût d’achat d’un avion au catalogue d’Airbus est de 275 Millions d’€.
Donc l’A380 a de très bons coûts unitaires car il est immense. Mais du fait de sa grandeur, ce n’est pas un avion qui peut être rempli et être économiquement viable à longueur d’année. Donc dans un esprit de synthèse, la force significative de l’A380 (ces coûts d’exploitation par siège) est aussi sa plus grand faiblesse (son coût de fonctionnement qui est extrêmement élevé). Airbus n’avait pas prévu ceci.
Deuxième partie : les clients et les clients potentiels
Jetons un coup d’œil au carnet de commande d’Airbus
Le carnet de commande pour l’A380 n’est pas en bonne posture, en effet malgré les récentes rumeurs d’intentions d’achat d’Emirates et de Turkish Airlines rien n’est certain, d’autant plus que le loueur, Amedeo, n’a pas trouvé de clients pour ses 20 A380 en commande. Les annulations semblent donc inévitables.
Il reste encore quelques 70 avions à livrer pour notamment Emirates, Qantas et Virgin Atlantic, mais ces deux derniers clients sont fortement susceptibles d’annuler leur commande en raison des difficultés des autres compagnies à remplir leurs A380 existants.
Pendant ce temps les nouveaux clients potentiels pour les futures générations d’A380 sont très difficiles à identifier et Emirates n’est pas « in-arrêtable », le trafic sur les gros hubs ont tendances à s’essouffler et beaucoup de marchés clés comme la Chine, l’Inde ou les Etats Unis ont du mal à faire voler l’A380.
Turkish Airlines a de fortes chances de ne pas acheter l’A380 et se rabattra sur les bi-moteurs long-courriers économes en carburants comme le 787 ou l’A350 pour sa flotte long-courriers, de nombreuses compagnies feront de même.
L’A350 d’Airbus et le Boeing 787, les avions préféré des compagnies actuellement SOURCE : airliners.net
Parmi les rares compagnies qui achètent l’A380, nous pouvons citer ANA (Japon) qui trouve le succès en positionnant ses 3 futures A380 sur son hub de Tokyo Haneda, ou encore British Airways qui pourrait acheter d’autres A380 pour décongestionner son hub de Londres Heatrow.
En dehors de ces compagnies mentionnées plus haut, il n’y a pas vraiment de marché pour l’A380 existant, pratiquement toutes les compagnies qui étaient susceptibles d’acheter l’A380 avec un gros hub se sont rabattues sur des avions biréacteurs avec un coût d’exploitation moindre comme le 777 ou l’A350 et faire plus de vol par jour avec des avions plus petits plutôt que de faire un vol par jour avec un gros avion.
Quel futur pour l’A380 ?
Le futur du marché des TGP (Très Gros Porteurs), marché crée à l’origine par le Boeing 747 au début des années 70, et qui est repris aujourd’hui par notre A380 est en perte de vitesse. Les biréacteurs l’ayant supplanté largement.
D’autant plus que Boeing est en train de sortir une version re-motorisé de son best-seller sur le marché des gros porteurs le 777x.
Plus important, cet avion a plus ou moins les mêmes coûts d’exploitation (par siège) avec 100-150 passagers en moins mais avec un coût d’exploitation total largement inférieur.
Si vous pouvez remplir rentablement un 777 l’Été alors vous pouvez le faire en Hiver car cet avion emporte moins de passagers, ce qui n’est pas le cas de l’A380 .
Aujourd’hui l’équation gagnante de l’A380 est la suivante : il doit être re-motorisé ou le programme meurt.
En effet l’avion a été développé à la fin des années 90 et au début des années 2000, la technologie des motoristes n’était pas aussi efficace que les avions actuels beaucoup moins gourmand en kérosène, d’autant plus que crise de la fin des années 2000 n’a rien arrangé à la situation de l’avion.
Airbus ne veut pas se lancer dans une version re-motorisé de son gros porteur sans avoir de commande au préalable, c’est un programme couteux qui se doit d’être rentabiliser, il faudrait une nouvelle commande de 150-200 avions pour qu’Airbus lance une version nouvelle.
Sans réveil de la Chine ou de l’Inde, il n’y aura pas de nouveau A380 re-motorisé donc aucun futur pour cet avion, ce qui conduirait très certainement à un arrêt du programme
L’Inde et la Chine ne pourront pas sauver l’A380
Le problème de ces marchés est que l’Inde et la Chine pour l’A380 sont un peu comme ceux des Etats-Unis. Les gros marchés domestiques dans ces pays permettent aux nombreuses compagnies de construire des hubs compétitifs rapidement.
C’est cela qui permet aux compagnies de remplir un A380 sur un Paris-New York par exemple.
Si le hub de New York JFK était le hub principal des Etats-Unis et était dominé par une seule compagnie, alors cela serait un argument solide pour l’A380. Mais le problème c’est que les hubs sont présents un peu partout sur le territoire Américain ce qui ne permet pas d’opérer un A380.
Cela pourrait être pareil pour la Chine où le marché est fortement fragmenté à travers la variété de hubs réparti à travers le pays et l’Inde où il y a une grosse compétition entre les nombreuses compagnies et aux multiples hubs.
Donc sans la Chine, l’Inde et les Etats-Unis, il n’a pas de surprise pour Airbus qui hésite sur le futur de son programme.
Pour finir, à la cadence de production actuel (Une dizaine d’avions par an), le programme peut encore survivre quelques années, mais il n’est pas clair si Airbus sera capable de remplir son carnet de commande pour sauver son programme pour les 10 années à suivre. En espérant que la congestion future des aéroports incitera les compagnies à commander plus d’avions.
Le programme de l’A380 est l’un des plus fascinant cas d’étude économique depuis les 20 dernières années, c’était l’un des projets aéronautiques depuis le Concorde le plus prestigieux et plus technologiquement avancé. Mais au final c’est un échec commercial dû à une mauvaise estimation du marché, le manque à gagner pour Airbus est énorme, il peut néanmoins compter sur son biréacteur long courrier l’A350 pour se donner un peu d’air.
Cet exemple est la preuve d’une mauvaise anticipation du marché qu’a fait Airbus, en effet le constructeur européen a préféré miser sur la continuité du marché plutôt que de tenter autre chose comme l’a fait Boeing.
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